Infrastructures : « Si tous les travaux étaient bien faits, il n’y aurait pas de nids-de-poule ! »

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Lors du colloque organisé en 2024 à l’Assemblée nationale par la LDC, Jean-Max Gillet, délégué général de Maintenance des routes de France, a souligné un problème structurel : dans notre pays, la gestion des routes se concentre sur les budgets, mais pas sur les résultats. Pire, aucun gestionnaire ne connaît précisément l’état de son réseau, faute de suivi, de contrôles ou de responsabilité claire. Pour lui, la priorité n’est pas l’argent, mais l’organisation : anticiper les dégradations, former les professionnels et s’inspirer de modèles étrangers. Rencontre avec un expert qui dénonce un système à bout de souffle…

Est-ce vrai qu’en France, nos routes sont en plus mauvais état qu’il y a dix ans ?

La réalité, c’est que personne n’en sait rien. Aucun gestionnaire ne connaît l’état de ses routes. Je vous invite même à leur demander combien de mètres-carrés ils gèrent. Quand on crée des routes, on crée des itinéraires, des kilomètres. Mais quand on entretient des routes, on entretient des mètres-carrés. Donc quand on dit que les routes se dégradent, c’est de la perception.

Qu’en est-il des usagers ?

En effet, quand on est un usager, on s’aperçoit que les routes ne sont pas en bon état. Mais dans la réalité, les gestionnaires rencontrent un problème : ils ne savent pas dans quel état est leur réseau.

Selon vous, les aménagements routiers sont-ils pris en compte dans la politique française de sécurité routière ?

J’ai un document qui donne les grandes dates de la sécurité routière en France, où on vous parle de limitations de vitesse, d’équipements de sécurité routière, d’alcoolémie, de stupéfiants… En revanche, on ne vous parle jamais d’infrastructures routières.

Les Suédois ont réglé ce problème avec des aménagements totalement lisibles pour l’ensemble des usagers. On y a fait des routes bidirectionnelles, qui concernent beaucoup l’accidentologie avec notamment des chocs frontaux, séparées par des glissières de sécurité et avec des zones de dépassement. On a aménagé l’infrastructure pour éviter les chocs frontaux. Au même moment, à Paris comme exemple, en voiture on change de voie et tout à coup, on ne sait plus où sont les voies pour bus. On ne sait plus où sont les pistes cyclables, faut-il se mettre au milieu de la chaussée, à droite, à gauche ? L’automobiliste doit en permanence réapprendre son environnement.

En France, les infrastructures sont dans l’angle mort de la politique de sécurité routière. La propagande, en France, consiste à culpabiliser le conducteur et à déresponsabiliser le gestionnaire.

Comment expliquez-vous les différences de gestion de la sécurité routière et de la responsabilité des infrastructures entre la France et d’autres pays comme l’Angleterre ?

En Angleterre, comme le maître d’ouvrage est responsable, forcément il s’intéresse au sujet. Ce n’est pas le cas en France. Ce que je dis toujours, c’est que plutôt que de mettre des « stop » ou des « cédez le passage » ou des chicanes auxquelles on ne comprend rien, on peut recourir à la priorité à droite. On sait qu’on doit laisser passer, c’est clair pour tout le monde. Le vrai problème, c’est que les gestionnaires au sens large – et cela a commencé par l’État, parce que les départements qui gèrent aujourd’hui les départementales ou les collectivités locales qui gèrent les voies communales ne sont pas responsables – ont refusé toute responsabilité dans la gestion des routes.

Vous avez des règles pour construire une route. Pour une couche de roulement neuve, on va vous dire « l’adhérence, ça doit être ça, un marquage ça doit être comme ça », mais une fois que c’est construit, le jour J + 1, il n’y a plus du tout de responsabilité sur l’état de la route. Il n’y a aucune règle en France qui indique ce qu’est une route entretenue.

Qu’en est-il des audits, après la réalisation des travaux ?

Ils sont pour la plupart inexistants. Selon l’un de nos adhérents qui réalise des statistiques, environ la moitié des travaux qui sont réalisés présentent des non-conformités et 80 % de ces non-conformités vont réduire la durée de vie des travaux. Il y a aussi une absence de qualité dans la réalisation des travaux parce qu’effectivement, ils sont souvent faits pour des raisons politiques. Nous, nous considérons que les budgets développés sont suffisants. Mais comme ils ne sont pas débloqués au bon moment, ou pas réalisés à la bonne saison… Combien de fois voit-on des travaux effectués quand il pleut, quand il fait froid ? Donc, dans des conditions de réalisation techniques qui ne permettent pas aux travaux de durer ? Évidemment, après on répare des nids-de-poule, on rebouche… et c’est le cercle infernal des dégradations. On a un vrai problème de prévision des travaux pour qu’ils soient effectués dans de bonnes conditions et aient la durée de vie qu’on attend. Si tous les travaux étaient bien faits, il n’y aurait pas de nids-de-poule !

Il n’y a pas, au niveau des instances européennes, des réglementations qui imposent aux États ne serait-ce que d’avoir des réseaux routiers praticables ?

Non, il n’existe encore une fois que des normes européennes sur la construction. Le Jour J, vous devez être conforme. Après, J + 1, J + 15 ans, J + 25 ans, le gestionnaire fait ce qu’il veut.

Existe-t-il des solutions à mettre en place ?

Évidemment qu’il y en a. Ce que je vais dire est un peu politiquement incorrect, mais moins il y aura d’argent, mieux les routes devraient être gérées. Car si j’ai moins d’argent, il faut que j’anticipe davantage sur ma gestion et donc j’évite que les nids-de-poule se fassent. C’est techniquement possible, il suffit de bien construire. La solution, c’est que les collectivités soient conscientes qu’elles gèrent des mètres-carrés et qu’ensuite, elles interviennent le plus préventivement possible. La bonne prévention étant de réaliser des travaux qui durent. Des travaux qui durent, cela veut dire faire appel à des bureaux d’études compétents.

Il y a d’autres pays que nous pourrions « copier » en Europe, en dehors de la Suède ?

Le réseau routier en Angleterre est en meilleur état que le réseau français même si, pour les mêmes raisons qu’ici, on n’a pas forcément une bonne connaissance du réseau. Les Anglais ont cette logique de gestion de l’adhérence, ce qui est quand même un point extrêmement important.

Les Allemands ont une réglementation un peu différente : les collectivités doivent rendre compte à l’État ou au Land de l’état de leurs routes, que ce soit en surface, en équipements… Il y a donc plus d’obligations réglementaires pour les gestionnaires d’ouvrages. Alors qu’en France, chacun fait ce qu’il veut ou ce qu’il peut, sans jamais avoir à rendre de comptes. Les seules qui doivent rendre des comptes dans notre pays, ce sont les sociétés gestionnaires d’autoroutes. Parce qu’elles ont un contrat de concession avec l’État, lequel stipule qu’elles doivent surveiller l’état de leurs chaussées. Ce sont donc les seules qui auscultent régulièrement l’état de leurs chaussées, lesquelles doivent avoir un certain niveau d’adhérence ou un certain nombre de nids-de-poule à ne pas dépasser, etc. C’est le seul moyen de progresser, parce que du coup, ce sont les seules entreprises que je connaisse qui ont des contrats de performance ou d’engagements de résultats ou de garanties avec les entreprises routières.

Pourquoi les collectivités locales ne mettent-elles pas en place des contrats plus longs, comme ceux des sociétés concessionnaires d’autoroutes, pour garantir la qualité des travaux routiers sur le long terme ?

Parce que dans le domaine des collectivités locales qui passent des marchés, la durée de vie des travaux est d’un an environ. Si pendant un an, ça se passe bien, après on est tranquille. Quand vous mettez 5 centimètres de bitume ou d’enrobé sur une chaussée, il faut plus qu’un an pour que des travaux qui ont été mal faits remontent à la surface et qu’on s’en aperçoive. Donc les seuls qui ont des contrats de 5 ou 10 ans sur lesquels les entreprises sont tenues d’avoir des résultats, ce sont les sociétés concessionnaires d’autoroutes. Une des solutions, c’est donc d’avoir à rendre compte davantage de ce que l’on fait. Que ce soit au président du département ou au maire de la ville, pour mesurer ce qui est fait et essayer d’améliorer ce qui est fait.

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